J’arpente la région parisienne avec délice

Céline Mounier, 27 mai 2020

Une expérience de « Créativités & Territoires »

Pendant le confinement, j’ai créé le groupe Facebook Dans mon kilomètre carré introduit ainsi : « Notre oecoumène s’est progressivement rétréci depuis la fin de l’hiver. Ce printemps, il s’est réduit à notre kilomètre carré. J’ai plaisir à arpenter mon kilomètre carré. Je découvre chaque jour des nouveautés. L’esprit vagabonde. Un jardin résonne avec un autre en souvenir ailleurs. Un jasmin se fane ici et éclôt ailleurs. Les senteurs du soir m’enivrent. Je regarde des habitats variés. Nous en parlons. Nous parlons de ce que nous aimons là où nous habitons. Le vent qui souffle sent presque la mer. L’air est pur il faut dire. Voilà, l’idée de créer ce groupe vient de cette volonté de raconter des récits de nos kilomètres carrés. Peut-être bâtir un nouveau livre de géographie par extensions successives. » J’aime cheminer en géographe.

Depuis le 11 mai, nous pouvons bouger sans autorisation dans un rayon de cent kilomètres désormais et j’ai créé un nouveau groupe cette fois appelé Changement d’échelle avec cette introduction : « Nous pouvons bouger sans autorisation dans un rayon de cent kilomètres. De 3,14 km2, nous passons à 31400 km2, sacré changement d’échelle ! Je lis : « J’ai donc pris un autobus pour aller vers la Seine, afin de ne pas me perdre. Puis j’ai suivi celle-ci jusqu’à la nuit, direction la Normandie » (La dériveuse, de Dorothée Blanck). Où suis-je au bout de 100 km ? Je lis qu’à Saint-Denis, je pourrais rencontrer Olivier Darné, apiculteur, qui a inauguré des promenades urbaines guidé par le butinage des abeilles. L’idée lui est venue de la découverte qu’il a faite de l’extrême variété des pollens. Les analyses mellifères ont en effet révélé des origines orientales mais aussi brésiliennes et argentines des fleurs butinées. La ville est un terroir fertilisé par les graines véhiculées par les vents, les animaux et aussi des gens qui ramènent des graines dans leurs poches et des variétés des étals des marchés. Je peux maintenant aller goûter du « miel-béton » comme il le nomme (Source : Paysage, Art, Métropole, ouvrage collectif sous la direction de Jacques Deval, qui a pour objectif de construire une culture de territoire en atelier « Paysage », ouvrage paru en 2019). Quelles découvertes inédites faire ? »

À l’heure où j’écris ces lignes, j’ai revu la Seine sur le boulevard des Maréchaux, regard tourné vers la mer, j’ai revu ma mère et j’ai mangé des cerises dans son jardin après un trajet en vélo de 25 km, j’ai terminé la lecture de Paysage, Art, Métropole, tout en poursuivant l’arpentage de mes 3,14 kilomètres carrés. J’ai aussi relu les travaux de mes étudiants et étudiantes du DUT Métiers du Multimédia et de l’Internet de Marne la Valléeque j’ai fait travailler sur le thème « ce que j’aime là où j’habite ». Un travail que nous avons entamé au début de l’année et que nous avons poursuivi confinés, sur des groupes WhatsApp et par mails.

Dans ce qui suit, je chemine en poète dans mes souvenirs de marches urbaines et de circuits à vélo, dans l’ouvrage Paysage, art, métropoledans lequel il y a des pépites et dans  les travaux de mes étudiants qui contribuent à révolutionner le monde comme il pourra être bon. Quand je les mentionne, j’écris en italique. Quand j’écris « je lis », c’est que c’est extrait de l’ouvrage Paysage, art, métropole. J’écris en grasdes rêves éveillés qui pourraient devenir des slams. Ce cheminement contribue à l’artialisation de la région parisienne, parisienne et banlieusarde de proche et grande banlieues que je suis. 

Je lis que parler des paysages est une nécessité pour mieux vivre ensemble. Je lis sur le Grand Paris que c’est 68 nouvelles gares, 450 cheminées d’aération, des mètres cubes de déchets, la sauvegarde des Rigoles Royales sur le plateau de Saclay, pour ne citer que ces exemples. Le projet de construire une culture de territoire en ateliers « Paysage » a été créé pour inspirer une politique qui lie le paysage, l’art et la métropole pour faire évoluer la nature du travail de projet d’environnement et d’équipement.

En lisant, je découvre des hauts lieux : la vallée de la Seine de Paris-Rouen-Le Havre, le canal Seine Nord Europe, les 25 km des Grands Casiers de La Bassée, le cyclop de Fontainebleau, le suivi de l’Axe Magistral, l’axe115° Sud-Est/Nord-Ouest que trace la Seine entre Paris et Le Havre, le grand mail du Parc des Lilas, le SiloScope à Vitry-sur-Seine, la butte de Montgé-en-Goëlle, l’enfilade Cité Internationale, parc Montsouris, rue René Coty. 

Dans les confins de mon kilomètre carré, j’allais, j’arpentais 

Pour trouver des lieux où chanter, où danser. 

Émerveillée, dansant masquée, je racontais cela

à Lucie, à Mathilde, à Frédéric, à Marta. 

Le soir, je suivais Marta sur Facebook, le rendez-vous de 19h45. 

L’ouverture prudente approchant, nous descendions soigner les vélo-chevaux. 

Le temps était venu de calmer leur impatience.

D’ouvrir les yeux plus loin.

Je lis qu’une carte « mongrandparis » a été créée sous l’égide de l’Atelier international du Grand Paris et de la Métropole du Grand Paris. « Venez placer vos lieux sur la carte Mon Grand Paris et discuter les lieux placés par d’autres habitants… nos lieux de tous les jours,nos lieux de plaisir et nos lieux d’exception, nos lieux de projet et même nos lieux de déception. Ensemble tissons l’étendue de la métropole et contribuons à forger une communauté de destin à travers le récit inédit d’un Grand Paris réuni, approprié par tous ses habitants. » La carte a été réalisée par Joseph Rabie dans le cadre d’un travail doctoral sur « ce qui fait lieu » sous la direction de Thierry Paquot. Chacun vient parler de ses lieux. Chacun décrit son lieu. Le jeu devient un « placebook ».

Le jeu du Grand Paris par Nicolas Briane et Florien Demazeux

Il s’agira d’un site web proposé comme un jeu de société afin de pouvoir découvrir le Grand Paris. Voici sa promesse : « Il pourra vous faire voyager dans l’Île de France d’un point à un autre avec divers options de voyage, à pied, en vélo. Il y aura des parcours selon des modes : pressé, voulant se laisser porter, arpenteur, flâneur. Des points de vue devront être débloqués sur la carte de l’ile de France pour gagner des points. Des points de vue très secrets bien évidemment ! Le jeu du Grand Paris permettra aussi de voyager dans le temps avec une rubrique réservée à l’évolution des gares du Grand Paris. Ainsi, on y verra les changements du paysage au fil du temps. Le Jeu  du Grand Paris permettra de faire voyager les usagers par l’utilisation de trajets plus agréables à vivre, avec la possibilité de faire des détours pour avoir des vues incroyables sur certains lieux et développer des opportunités de se dire que l’Île de France est une région où voyager pour le plaisir ! »

J’arrive ici, à un carrefour à Ballainvilliers,

C’est au nord de l’Essonne.

Je le tague « secret », 

Je verrai qui viendra le débloquer.

La minute de danse, c’est bientôt,

Je sais où c’est, je file pressée.

Je lis que la promenade urbaine est parcours. Je pense à cela en arpentant mes kilomètres carrés et maintenant au-delà. Cela aiguise le regard. La promenade urbaine est lien entre espaces déliés. Elle peut amener à reconsidérer des paysages délaissés.  Le parcours par le sentier permet d’appréhender la proximité physique, spatiale, la notion de « lieux de vie », le circuit court, le véritable local. Je lis la formule « Aller à zonzon ». Elle est employée par Francesco Careri. Les dérives créent des cartes des vides qui occupent des grandes surfaces, souvent « des surfaces plus grandes que les pleins. Et ce souci est encore présent dans les modes de représentation : cartes fragmentées, images floutées, dessins et diagrammes génératifs et travaillés afin de transmettre l’arborescence, la capillarité, la diffusion, la vitesse, le devenir. » 

OùVerdure ! par Gautier Dépit, Mélanie Farault, Zélie Mailait et David Pinheiro

Oùverdure !, ainsi écrit et ponctué, a pour promesse de « rendre service à toute personne en quête de nature en mettant en avant sous forme d’une application les espaces verts dans toute la France. Par espace vert nous désignons : les forêts (tous les types de forêts), les parcs, des balcons, les jardins urbains, les espaces verts des copropriétés, tous les jardins privés. Nous créerons une communauté de passionnés qui par leurs interactions entretiendront leur passion tout en développant l’application. Il y a plein d’occasions de repérer où il y a de la nature en ville, la chasse aux œufs par exemple, des promenades urbaine aussi. La ville est mitée de vert. Avec Oùverdure !, il sera possible de créer une œuvre artistique de la ville augmentée, « un vrai travail de redesign des cartes des villes ».

Je regarde les abeilles sur le balcon.

Elles aiment les fleurs de basilic,

Il faut laisser fleurir le basilic pour les abeilles. 

Je veux voir la ville à hauteurs d’abeilles et d’oiseaux.

Je lis que Val’horest une organisation qui rassemble tous les professionnels de la filière verte. « Qu’ils soient petits comme des balcons, modestes comme des squares ou vastes comme des parcs, qu’ils soient publics ou privés, individuels ou partagés, qu’ils soient ouvriers ou curés, potagers ou médicinaux, verticaux ou terrasses… tous les jardins sont bons pour la santé. » OùVerdure !pourra s’associer avec Val’hor. 

La ville fait naître des potagers

des forêts urbaines, nourricières. 

Et des cours de cuisine. 

La ville composte. 

À San-Francisco, vous savez, Vacaville est le grand composteur.

 « Les refondatrices du site web » des AMAP : Lara Calle Gomez, Irène Chazalviel, Yaëlle Clausse, Morgane Marquis 

« Il faut dynamiser le site web des AMAP. Cela contribuera à développer des ardeurs pour faire partie d’une AMAP. Il tout autant adresser ceux qui recherchent des AMAP que des créateurs d’AMAP, ceux et celles qui aimeraient créer une AMAP un jour. Les AMAP doivent être accessibles aux enfants pour découvrir l’agriculture en ville. La refonte du site pourrait par ricochet faire des émules dans d’autres secteurs d’activité. »

Tu me dis qu’il n’y a pas de vert chez toi.

Je réponds « je ne te crois pas, cherche-le ».

« Friche découverte hier ». Photo 

Prenons date pour dériver ensemble. 

Je lis que la question de l’artialisation du territoire est cruciale pour créer de bonnes conditions un projet de paysage. Je précise ce point : la notion de paysage-projet se définit par cette « mise en art » des territoires fragmentés dans la perspective de recomposer un paysage contemporain à venir. Les arts de la rue fabriquent de l’espace public. Par exemple, un observatoire photographique a été créé pour garantir le profil des buttes de Montgé-en-Goële. L’artialisation, c’est un projet d’intégration et d’intensification du territoire. L’homme habite en poète. 

Je revisionne Pina de Wim Wenders.

Nous parlons avec Frédéric,

De hacker la ville le temps d’un été.

Hacker la ville de gestes amples,

de regards, 

Masqués. 

On observe partout de l’homogénéisation des constructions et un dominant design de l’aménagement des espaces publics tissé de quelques préciosités coûteuses inutiles et même dangereuses. En même temps, chacun crée son habitat en rapport avec la nature et l’esthétique. Je lis avec ravissement qu’à Saint-Denis, je pourrais rencontrer Olivier Darné, l’apiculteur, qui a inauguré des promenades urbaines guidé par le butinage des abeilles. Je peux maintenant aller goûter du « miel-béton » comme il le nomme. J’aime à penser que Les copains d’abord auront plaisir à imaginer un événement sur le thème du miel. 

« Les copains d’abord« , par Luca Miranda, Mehdi Tanine, Calvin Vatel

« Des copains trouvent des lieux où se retrouver. Les copains d’abord, c’est entre Snapshat et La Fourchette, à ces différences près essentielles que des garçons de café sont de la partie et qu’il n’y pas que des lieux où on mange et boit qui sont des lieux où se retrouvés. Une cour de résidence peut être un lieu où il fait bon se retrouver. Chaque participant peut de manière ludique couper sa localisation (il y a un mode « je dors », « je fais mon ours »). Les copains d’abord, c’est un covoiturage d’activités ». 

Je lis aussi des « promenades urbaine » ont été organisées par Maud le Floc’h à titre de procédures d’échanges d’impressions et de savoir entre « un élu, un artiste ». Tel est le nom du dispositif de recherche action qu’elle a mise en place. Des couples ainsi constitués confrontent leur vision de la ville, familière pour l’un, inconnue pour l’autre. L’un guide l’autre. L’autre raconte la promenade urbaine avec son art. L’objectif de cette recherche action est de croiser les perceptions et les préoccupations pour offrir aux projets d’aménagement des contrepoints sensibles et émotionnels, de croiser technique et esthétique, d’impulser des pratiques alternatives et créatrices à l’intérieur de cadres figés. Il pourrait y avoir toutes les promenades à vélo et les autoroutes à vélo. Wildprojetest éditeur français d’itinéraires mêlant géographes, paysagistes et artistes. 120 km entre Saint-Denis, Créteil et Versailles. 

À un de ces quatrepour rouler de Saint-Denis à Versailles

À un de ces quatre pour faire le tour de l’Essonne

À un de ces quatre pour le Tour du Grand Paris

À un de ces quatre pour marcher de Montrouge à Aubervilliers.

« À un de ces quatre » par Elias Bugel, Nathan Descoins, Amandine Fulop, Hamdiata Traore

« On se dit À un de ces quatre. La formule « à un de ces quatre » est entre « au plaisir de nous revoir » et « à la prochaine fois », elle a un côté facilitateur pour se voir, se revoir, le service pourrait être connecté à son carnet de contact et son agenda, il faudrait donner envie d’inviter des amis, il y a un côté « le groupe de personnes qui viennent de n’importe où », il y a des gens de passage et des gens toujours là. Ce qui les réunit, des centre d’intérêt, des actions communes, du jardinage, des lectures de romans, de la couture, de la danse, etc. »

Nous marchons conteurs, photographes, danseurs. 

Gabriel nous accompagne caméra au poing. 

À La Courneuve, je rêve que des saltimbanques s’installent sans chapiteaux

Et qu’à Aulnay des furtifs installent des tyroliennes.

La ville est aérienne.

Gabriel filme. 

Zen Spot, par Priveen Amirthalingam, Tiphanie Dos Santos, Vincent Vezolles

« Des lieux calmes en vidéo, ça a un côté incongru, et c’est bien ça le pari de  Zen Spot. Un zen spot peut l’être à un moment et pas à un autre, tenez, tel café par exemple. Des Zen Spots peuvent être dynamiques. D’ailleurs, le terme Spot évoque un côté squat, « tiens un lieu calme, on s’y met », nous, « la communauté des siesteux au soleil », la cartographie est dynamique, il y a un côté furtif des lieux calmes. Les Zen Spot sont aussi les médiathèques. La France dispose de 16 000 médiathèques, plus que de bureaux de poste, dont d’itinérantes. Les deux tiers mènent des actions hors les murs. Elles réparent et ravaudent. »

Je lis à voix haute dans la cours de mon immeuble. 

Le temps du confinement a été l’occasion de le transformer en espace public.

La pensée voyage

Ex Libris, New-York, ravaudage, 

Soleil de région parisienne dans une cours d’immeuble. 

Je referme Paysage, art, métropole, je lis sur sa couverture cette citation de G. Didi Huberman : « … l’air en tant que mouvement de respiration, c’est-à-dire d’échange du viscéral et de l’atmosphérique par le biais d’un fluide, d’une matière mobile et invisible. Alors peuvent s’échanger le singulier et l’universel, l’intime et l’obsidional, la vie du profond dedans et celle du grand dehors. » 

Merci beaucoup aux étudiants du DUT MMI Champs sur Marne (Université Gustave Eiffel) pour leur créativité

Merci à la librairie Zenobi de vendre d’aussi intéressants ouvrages.

Commentaires