Des « Arts ForeZtiers 2015 », retour sur expérience sensorielle
lundi, 22 février 2016
Cet article a été écrit par Sylvie Dallet pour le colloque GHFF du 30 janvier 2016.
Le Festival des Arts Foreztiers, au logo du lézard feuillu, est apparu sur le village de Chavaniac Lafayette en 2010 et, depuis cette date, rassemble une communauté d’artistes chercheurs qui exprime, au gré des thèmes de l’année, son amour de la nature, celle de la forêt et du Forez : l’initiale minuscule pour la sylve universelle et la lettre majuscule pour les montagnes bleues, se conjuguent dans une sorte de musique tremblée dont il faut comprendre les charmes. Pourquoi ce village d’Auvergne, au cœur de l’odyssée libertaire des révolutions et de la nostalgie américaine, suscite t’il un tel attachement ?
Ici tout serpente, se hisse, se dévoile, se croise et se complémente. Les sapinières côtoient les pommiers sauvages, les essences américaines et les chemins tapissés de violettes. Au Conservatoire botanique national du Massif Central, on préserve farouchement la flore, aidé par le Conservatoire des Espaces Naturels d’Auvergne. Aux portes de ces deux institutions patrimoniales, le Parc du Château de Lafayette s’enorgueillit d’une végétation importée, offerte par de donateurs américains.
Le chaos des arbres
En frontière du village, les sapinières forment une barrière de bois noirs. Il faut s’aventurer dans les bois de Chavaniac pour ressentir concrètement les contrastes entre les formes, les matières et les coloris. Les futaies régulières des sapins imposent une pénombre de silence, tandis que les chênes tordus cèdent du terrain aux pieds d’éléphants des hêtres. Ravines brusques et ruisselets chantants basculent un territoire subtilement redessiné par les sentes ponctuées de fontaines. On assiste directement à l’enchevêtrement des espèces, comme ces redoutables Fomoré, émanant du chaos primordial : les chênes aux branches éployées campent aux quatre coins des chemins, tels des formes élémentales nées de l’imagination fantastique. Au détour d’une ravine, le sapin accroche d’étranges racines de mandragore sur un sol qui s’effondre, comme si, au bord des gouffres du chemin, la vie s’enfiévrait, offrant aux regards des jambes torses, enchevêtrées jusqu’aux nombrils. L’image de ces serpents de bois conforte le « royaume du silence au Bois Dormant » qu’Henri Pourrat évoque dans le poème forézien, Maison des Bois.
La topographie feuillue a été limitée par les chemins des mines, aux abords d’un village que l’Histoire ne cesse de questionner. Au XXe siècle, les enfants soignés au Préventorium, longeaient une allée plantée de pommiers jusqu’au cercle des forêts. Le lieu est magique dans son abandon : les lieux du Préventorium transformé en Château des murmures, semblent endormis pour un siècle, miraculeusement préservés des herbes par une fauchaison méticuleuse. Solitaire, le sentier rose, crée pour la discrétion d’une femme, sépare les prés de la forêt, à la pénombre bordée de pruniers mordorés qui inclinent leurs arcs.
Partage entre les mondes et créativité des formes
Cet univers composite est traversé par la mémoire d’un village qui redoute sa ruine, gardant les mûres aux ronces et les pommiers anciens en sommeil. À l’Est, la montagne du Lata veille sur les chemins de traverse qui surplombent le village. En direction du Sud, le volcan du Bracou, coiffé de sapins sombres, sommeille en méfiance, aussi bossu que sa voisine rousse du Lata, dans le rêve des forêts primitives où les animaux se reposent du tracas des chasseurs. Chavaniac étire sa végétation, entre des panneaux qui signalent des villes comme des îles, des villages et des lieux-dits. Aux frontières des anciennes mines de feldspath et des sources, le Conservatoire botanique se déploie sur les anciens espaces de guérison des enfants. Les plantations s’y caractérisent : framboisiers, cassissiers, fougères jouxtent un minuscule jardin japonais. Surgi de nulle part, si ce n’est de la Sibérie glaciaire, un bouleau nain se ressource près d’un chêne.
La création de ce pays révèle une invisible trame dont le forestier, l’éleveur, le botaniste et l’artiste ont tendu les fils à des moments différents. Chavaniac même assoupi, est construit à angles vifs, entre des expériences botaniques issues des cinq continents. Le souvenir de l’alliance américaine apprivoise une chatoyante végétation, soigneusement transplantée : sapins de Vancouver, marronniers à fleurs rouges, cèdres de l’Atlas, cyprès de Lawson, cyprès chauves, ginkgo, hêtres pourpres, méta séquoias, mûriers blancs, thuyas géants… Des cèdres plantés sous Lafayette forment réponds avec « l’arbre de la lune », un érable sycomore, dont les graines accompagnèrent l’expédition Apollo 14. La vallée occidentale et la montagne orientale, singularisent cette confrontation des mondes, traduite par la formule de Pourrat : « il y a dans cette largeur de pays nocturne, quelque chose qui passionne le cœur… »
« Faire cas de la sève ».
Le Festival de création Les Arts Foreztiers cherche à entendre ce cœur qui bat dans ce bout du monde forestier, témoin de la pluralité des mondes. Le thème 2015 a conjugué deux axes, relayés par un Blog dédié (artsforeztiers.eu): pour les artistes, « L’Arbre du milieu du Monde » et pour une rencontre artistes/ forestiers et botanistes, la Journée d’études Créativités &Territoires, intitulée « Éthique et gestion forestière internationale ».
En effet, si le paysage s’offre, dans sa diversité unique, comme un centre du monde traversé d’expressions singulières et collectives, les figures de l’arbre de vie, des connaissances et du cosmos, résument la relation de la nature au sacré, qui transcende à la fois les lieux et l’écriture du passé. Feuilleté d’histoires et d’odeurs mémorielles, l’arbre cosmique est lié au centre de la terre comme un cordon de placenta. En « L’Arbre du milieu du Monde » murmure la source mythique de la fertilité terrestre, parce qu’il assure en profondeur la connexion vitale entre les mondes visibles et secrets.
La trace artistique de la manifestation s’effectue, entre le foisonnement du Blog et son déploiement sur le Village, par cet entrecroisement des expressions, expérimentales, sensibles et symboliques. Chacun accommode à sa façon le « tout- monde » par le « tout vivant », découpant le lieu choisi en portions créatives et collectives : trente-deux artistes (photographes, chanteurs, danseurs, plasticiens, performers et installateurs) ont exposé en 2015, accompagnés des poètes, des aidants, des curieux, des tourneurs de manivelle et des savants qui ont arpenté le village sur trois journées. Trois créateurs chinois sont venus respirer les arbres de Lafayette, dont une créatrice taiwanaise, qui installa au soleil levant une frise d’elfes noirs, chevauchant les branches d’un arbre de paix.
La sève circule à nouveau sur ces paysages mêlés, grâce aux œuvres collectives et aux correspondances nourries entre les passants, les artistes, les forestiers et les botanistes. L’édition 2016 prépare pour juillet à venir trois thèmes : « L’Arbre du milieu du Monde » qui continue à réunir les expériences modernes et les savoirs archaïques, « Botaniques célestes » et « Forêts anciennes »… dans une relation éthique qui se construit entre l‘Auvergne vécue dans la sauvagerie qui point, l’Amérique centrale (le peuple Kichwa de Sarayaku, dit en Amazonie équatorienne, « peuple du milieu du monde, fils de l’arbre »), l’Europe et l’Asie…
Sylvie DALLET