Intencity de Clichy, recettes pour dynamiser les centres villes

Étape 46 de la Plate-Forme nationale « Créativités & Territoires ».

Intencity

Nous dirigeons nos pas pour la première fois en banlieue des Hauts-de-Seine, après avoir naguère exploré, en Seine-Saint-Denis, les communes de Montreuil et la Plaine.  La cité de Clichy-la-Garenne s’est beaucoup développée lors de l’industrialisation avec, notamment l’implantation d’une annexe des Grands Magasins du Printemps, une arche de verre et de ciment armé qui a servi d’atelier de fabrication, puis de magasin. Ce bâtiment de style « Art nouveau », édifié entre 1906 et 1910, a caché durant la Seconde Guerre Mondiale la célèbre verrière du Printemps, qui fait aujourd’hui l’orgueil du magasin rénové.

La pépinière d’entreprises Intencity nous accueille ce 21 mars 2014, jour de printemps, dans des locaux aérés d’une miroiterie désaffectée de l’ancien quartier des teinturiers de Clichy, qui jouxte Saint-Ouen. J’avais envie d’écrire en « pleine commune », qui pourrait être, avec la citation latine « affection sociatis»[1], le jeu de mot qui impulse secrètement l’action d’Intencity,  au blason du lion rayonnant, à la gueule chaussée des lunettes de soleil. Latin, anglais, français, une continuité qui, dans l’histoire européenne, reste à la mesure d’un travail collectif lancé par les trois, puis les quatre associés de la structure (deux hommes, deux femmes : Alexandre Meyer, Marie Lesage, Phuong Lan Nguyen, Olivier Perret du Cray, Maryse Touchard). Cette aventure entrepreneuriale de la « plaine commune » des Hauts-de-Seine semble ressusciter le modèle de la « compagnie d’aventure » de l’époque moderne[2].

Le site web de notre hôte arbore un écusson cerclé de croix pattées rouges sur fond jaune et bleues sur fonds blanc, traversé d’un parchemin mouvant portant le nom d’Intencity, comme une entreprise du XIXème siècle qui aurait transformé les principes du Moyen-Âge. L’écu inscrit à gauche s’accompagne sur sa droite d’une nuée sémantique qui résume les ambitions de la structure : projet, création, entreprise, produit, conseil, entreprise, réalisation, innovation. En caractères plus petits,  trois mots singuliers forment  détail : plaisir, liberté, travail… Six coloris inédits démultiplient les signes de fronton : violet colombin, jaune beurre (ou blé ?), gris fer, rouge turc (ou sanguine ?), bleu charrette et bleu de minuit, couleurs héraldiques transformées à l’air du XXIème. La philosophie de l’apprentissage oeuvrier est nette : « nous n’avons pas toutes les réponses et toutes les compétences, mais nous travaillons avec un réseau de correspondant fiables et éprouvés vers lesquels nous pouvons orienter nos clients. »

Alexandre Meyer est le maitre décontracté de ce lieu aéré, qui pourrait se décrire comme un hôtel de services aux entreprises, loué au mois dans une perspective dont le jeu ne dépasse jamais les vingt-quatre mois. Forte de cette règle, l’entreprise héberge depuis 2006 quelque cent quatre-vingt structures sur des espaces en location dont la surface minimale est calculée sur le plus petit dénominateur de dix mètres. Les locataires en acceptent les règles simples : pas de caution, un loyer perçu en bail mensualisé et la transparence des lieux de travail.

Le maitre de maison nous conduit de la coursive blanche du premier étage vers l’ancien toit de l’usine pour nous décrire le site et les efforts de propreté qu’il exige du voisinage, pour vivre à l’ancienne en « bons voisins ». La discussion avec les foyers environnants a été longue pour réduire les déchets jetés par les fenêtres vers une toiture plate désormais couverte d’un gravier alterné de mousses et de plantes grasses, mais elle a porté ses fruits.

Le premier site d’Intencity se situe au 21 rue de Reuilly dans le 12ème, autre effet de miroir numérique. Depuis juin 2008, cet espace de quatre cent mètres carré accueille une quarantaine d’entreprises (graphistes, architectes, entreprise générale du bâtiment, agences évènementielles, voyagistes, site internet, journalistes…). Le mélange des entrepreneurs présents sur le site, permet aux nouveaux créateurs de tirer parti de savoir-faire et d’approches variés au sein d’un même lieu. Ce qui caractérise Intencity des autres Fab lab, ferments des territoires de demain,  c’est son absence de subventions publiques, dans une démarche analogue à celle de l’Établisienne, dont nous avions analysé l’originalité lors de notre promenade dans le 12ème arrondissement.

À la différence de l’Établisienne[3], qui mêle sur des horaires partagés,  des personnes mues par le désir du travail du bois, Intencity mélange des entreprises différentes sur des bureaux en open space, et des ateliers fermés loués au mois. Ces espaces vitrés à circulation fluide permettent une vue sur les activités, dans une discipline partagée. Parmi les occupants des ateliers, des couturiers, des photographes et des décorateurs, qui requièrent à la fois la proximité du centre-ville, des espaces de rangement et des volumes de plafond élevés. Dans la travée claire qui départage les nouveaux ateliers par des bandes de couleurs peintes à même le béton, quelques véhicules peuvent assurer les livraisons. Par ailleurs, Intencity a fait aménager, pour renforcer la convivialité des lieux,  une belle cuisine collective (80 m2), qui, du banquet à la discussion qu’elle stimule, fait également office de salle de réunion. Nous assistons donc, peu ou prou, au retour des structurations associatives de métiers, qui, comme la guilde d’antan,  se dote de règles fortes pour survivre en communauté et faire du profit : responsabilisation, discipline, autogestion sont les mots qui traduisent la « confiance » d’antan. Pour mémoire, la guilde s’expose par son blason, son règlement, ses mœurs,  et même la qualité de sa cuisine, que le Moyen Âge décrit par les mots parlants de « trinquerie » ou « potacio », l’usage étant de boire en commun pour sceller l’accord d’association et le respect des règles communes.  Clichy n’est-t-elle pas, au XVIIème siècle, la première paroisse de l’abbé Vincent de Paul qui prônait la fraternité ?

Un habitué de nos rencontres, Marc Tirel, attentif à ce regard collectif, a naguère exercé différents métiers au sein d’un grand groupe industriel: animation de réseaux de distribution, direction de projets, développement e-learning à des niveaux locaux et globaux.  Il accompagne désormais différents réseaux émergents dans une perspective de complémentarité et de connexion internet[4] : il a cofondé les Explorateurs du Web et la société  Savoir pour tous. Aujourd’hui, son émerveillement renouvelé de l’apprentissage, qui depuis Platon est le signe de la connaissance et depuis Bachelard, l’indice de la créativité, lui permet de dialoguer avec la Famille franciscaine et adapter par le web les principes fraternels de la congrégation.

 

Les rôles anciens de la boutique

Dans une démarche analogue, l’industriel Hervé Lemainque a lancé de sa ville de Colombes une initiative de revitalisation des services, des artisans et des commerces de proximité. Sa réflexion se situe au carrefour des marques, de la géographie de la population active et de l’attractivité spécifique des territoires. Les centres villes fonctionnent le plus souvent en circuits courts sur des emplois de proximité, dans une dynamique où le service à la personne (et au citoyen) l’emporte, en qualité, sur le pur produit de la vente. La phrase que je rédige ici, doit se comprendre à travers une expérimentation séculaire de la citoyenneté : l’ensauvagement des centres villes par fermeture des commerces est une catastrophe pour la cité, car elle prive ses habitants de promenades « urbaines » (au sens de « civilisées ») : le cœur de la ville doit rester attractif pour garder ses « bourgeois » au sens du Moyen Âge, c’est à dire les forces vives du bourg. La ville de Montreuil-sous-bois en a fait la douloureuse expérience et reconstruit tout un quartier commercial composite à l’air libre après l’avoir enterré dans les années 1970. Dans une déshérence prophétique, les villes américaines ont subi de plein fouet dans les années 1980 l’abandon des centres villes au profit de la norme des maisons individuelles et des hypermarchés des « banlieues ». Seules quelques cités ont résisté par l’invention, au déclin annoncé : implantation de commerces de luxe, de niches insolites de création, voire des peintures murales qui attirent l’attention sur l’histoire urbaine du passé.  Depuis 1995, la Fondation québecoise Rues Principales s’est dédiée à la rénovation des centres villes. Pour mémoire, la ville de Sherbrooke au Québec, « reine des cantons de l’Est » a fait peindre sur les briques hautes de son centre-ville les images des commerces du passé,  suscitant la nostalgie du présent…[5] Depuis 1995, l’initiative M.U.R.I.R.S. (Murales Urbaines à Revitalisation d’Immeubles et de Réconciliation Sociale) entend, sous la houlette de Serge Malenfant, «promouvoir et valoriser le milieu bâti en produisant des œuvres murales, favorisant un rapprochement social, artistique, historique ou culturel dans un contexte strictement non lucratif. (…). Je cite  son auteur :

« Le projet consiste à créer des murales extérieures à caractère thématique au centre-ville de Sherbrooke en lien avec le Bicentenaire de la ville en 2002. Plus particulièrement, il s’agit de réaliser des murales sur des murs d’édifices désaffectés ou en manque d’esthétisme, afin d’améliorer le décor urbain. Le but du projet fut de créer un circuit de murales qui animent les rues tout en valorisant leur caractère propre, orienté sur l’histoire, le patrimoine et la culture, afin que les citoyens de la communauté prennent conscience de leurs racines et appartenances. Le rôle artistique des murales est aussi d’éveiller chez le simple passant comme chez l’artiste chevronné une appropriation et une vision différente de l’espace urbain, le réconciliant à l’échelle du piéton ». Cette diversion esthétique coupe la trame béton-brique-asphalte, qui caractérise les cités nord-américaines du XXème siècle et s’effectue en lien avec l’université de Sherbrooke, une des plus innovantes du Canada.

Le marketing territorial entrepris sur les Hauts de Seine par Hervé Lemainque  n’a pas, pour l’instant, vocation à développer le muralisme car elle s’inscrit à mi-parcours de la désertification. L’initiative s’apparente aux principes de la Guilde des commerçants,  mais, plus composites que l’expérience d’Intencity, ses représentants font écho à l’idéal collectif de la jurande. Sous l’Ancien Régime, on appelait jurande un corps de métier constitué par le serment mutuel que se prêtaient, chaque année dans la plupart des cas, les maîtres : serment d’observer les règlements, mais aussi serment de solidarité et de morale professionnelle. Les propositions mises en œuvre en 2005 font un lointain écho aux fêtes médiévales où les corporations défilaient fièrement en ville, rappelant à chacun l’importance des métiers. Cette « Journée nationale du commerce de proximité et de l’artisanat et du centre-ville» a gagné, en dix ans, la sympathie des Colombiens et, d’octobre en octobres,  séduit aujourd’hui plus de 280 villes pour une trentaine de chambres consulaires des métiers[6]. La boutique du quartier est, au-delà du service significatif de la livraison rapide, à la fois un havre, un lieu de discussions et un navire de marchandises : l’origine d’une ville. Le théâtre de Colombes s’est associé à cette manifestation qui participe de la culture urbaine et se conjugue avec les efforts citoyens des conseils de quartier. La consultante  (valorisation des territoires et projets culturels) Marie-Pierre Faurite, anciennement responsable  du service marketing de l’Opéra de Paris,  abonde en cette analyse : ce qui fait le commerce, c’est sa part d’humanité. Le retrait  soigné et l’accueil sont des éléments de convivialité que les usagers réclament, dans un cadre apaisant qui les détournent de leurs soucis. Les jardins accompagnent ces haltes urbaines, quitte à les délocaliser si nécessaire,  comme le Jardin d’Alice, (piloté par des artistes jardiniers) qui semble devoir quitter le 18ème arrondissement pour migrer vers la caserne de Reuilly.

 

 Clichy miroir de la distribution

La discussion qui suit ces présentations, porte en elle les inquiétudes de chaque acteur économique devant les services de livraison internet. Cette discussion en pointillé signe à Clichy un nouveau miroir de l’Histoire : le géant américain de la vente par correspondance, Amazon, s’installe discrètement en 2013 sur les entrepôts du Printemps fondés un siècle plus tôt, succédant à la Fnac en liquidation judiciaire. Après avoir participé en famille à la gestion du BHV, de Monoprix et des Galeries Lafayette, ces grands magasins innovants du XIXème siècle, bâtis dans les centres des métropoles françaises, Alexandre Meyer préfère aujourd’hui miser sur la restructuration du tissu artisanal et industriel, dans une relation de proximité. Venu de la petite industrie graphiste, Hervé Lemainque défend une philosophie qui respecte les services de proximité, ceux où l’on se rend à pied pour retrouver un commerçant familier, indispensable confident de ces foyers de passage qui  peuplent les villes sans oser y prendre la parole. La démocratie passe par ces dialogues de rue et de comptoir, les devantures pimpantes où le passant musarde, les voisins qu’on hèle, les trottoirs traversés à l’habitude. En effet, ces commerces des centres villes se caractérisent par des hauteurs humaines, qui favorisent la respiration, la créativité et la pensée, des termes différents pour une oxygénation analogue. En 1908, le critique d’art Émile Magne décrivait déjà l’urbanité idéale des villes françaises comme telle : « nous n’avons aucun intérêt esthétique, imitant l’orgueil américain, à élever de vertigineux casiers à bouteilles dont les habitants inférieurs ne respirent plus qu’à l’aide du ballon d’oxygène et ne voient plus qu’avec le secours de l’électricité. Cinq étages suffisent amplement à assurer des revenus aux capitalistes et permettent aux locataires de jouir pleinement de l’odorat et de la vue »[7].

 

Accompagner c’est produire de la valeur

Le commerce suffit-il pour revitaliser les « no man’s land » pour en faire de véritables « endroits »  de vie ? L’indice de consommation (IDC) mis en œuvre par l’État, repose sur des mesures grossières et donc peu fiables. Pour maintenir un commerce de proximité, le loyer du foncier ne peut dépasser 15% des charges, mais cette remarque masque le plus souvent un retard réel à comprendre la modernité. Le commerce de proximité est un fait local : les parisiens ne viennent pas acheter en banlieue sauf pour des offres rares : 40 % des gens de Clichy et de Courbevoie vivent et travaillent sur les communes.  Pour acheter ou vendre, le site du Bon coin fait désormais exploser les offres immobilières et de ventes privées : l’étalement urbain, souhaité par les promoteurs et conspué par les citoyens, se rétracte logiquement en cas de pénurie de carburant. Comme Montreuil l’avait inauguré voici dix ans, les centres villes passent désormais des pactes de responsabilité avec les municipalités. Dans certaines mairies, on initie des postes de « manager » du commerce, dans une dynamique de créativité et de productions rares : les boutiques de chocolats, comme les baies vitrées des fleuristes jouent sur le goût, la gourmandise et le cadeau, moments de grâce pour les poètes désargentés. Nul ne résiste longtemps à la saveur menue de la friandise, colorée ou sucrée. La baguette mangée dans la rue, doit rester dans la mémoire pour son goût: les quartiers populaires, naguère, offraient des repas ouvriers de qualité. Le Louvre qui dispose ses œuvres à Lens, en territoire minier, donne un nouvel allant aux commerces de bouche traditionnels.

De fait, la réflexion sur les centres villes consiste en une relation au réel mélangé, aux antipodes des expériences séparées de « l’entre soi ». Non loin du métro, la municipalité clichyssoise a su réunir les multiples communautés musulmanes au sein du Centre cultuel et culturel Ibn Khaldoun inauguré en 2013[8]. Dominique Doré, qui s’était naguère passionnée pour le logement féminin des Babayagas à Montreuil, se recentre sagement sur les expériences mixtes d’habitat groupé, associant des âges, des sexes et des milieux sociaux diversifiés. Paul Iordanow consultant à la Banque africaine de Développement[9] expérimente de nouvelles formules de développement Sud-Sud qui puissent réduire la pauvreté issue des découpages colonialistes : cinquante-trois pays africains partenaires accompagnés par vingt-cinq pays non africains (Europe, Émirats, USA, Japon) travaillent sur des sujets aussi variés que la dette, les diasporas africaines et la formation. Parmi les initiatives, celle, économique sur une base culturelle, de relancer les circulations historiques  anciennes, telles celles de la Turquie au Maghreb.

Mathilde Vanderrusten, fonctionnaire-manager territoriale, accompagne dans le Nord,  les expériences innovantes des collectivités locales : coworking, PTCE (Pôle Territorial de Coopération Économique)[10]… Ces actions initiées par l’État souhaitent développer la culture de l’innovation au sein des collectivités locales, connaître les modalités de financement de l’innovation, accompagner les PME dans les démarches d’innovation, notamment en renforçant les liens entre les universités et les entreprises. Les PTCE  offrent une diversité d’action au miroir des énergies des territoires: la Coursive Boutaric, pôle culturel et créatif à Dijon, Biovallée dans la Drôme, Terril biodiversité, Nova énergie à Dunkerque, Loos en Gohelle dans une proximité avec le savoir-faire belge… Ces énergies mixtes axées sur le développement solidaire s’appuient le plus souvent sur des laboratoires de recherches et /ou sur les réseaux de l’UNADEL[11].  Cette réflexion rejoint indirectement celle des marques et de la labellisation des territoires comme des productions, une idée qui peine à émerger tant elle semble, en apparence, contredire l’égalité républicaine et ouvrir à une folklorisation des régions. Par ailleurs, on ne peut passer sous silence que les ressources liées aux appels d’offres publiques restent le plus souvent dans l’escarcelle des entreprises que le public soutient de longue date. Évaluer une initiative innovante en son caractère véritablement créateur n’est pas chose aisée : la culture administrative ne favorise pas (ni même l’université, malgré des exemples stimulants des Pyrénées orientales), ce type d’expertise ouverte.

Venue représenter CréaFrance, Nathalie Boyer témoigne de la multiplicité des actions de l’association à partir de méthodologies ouvertes et de séminaires courts à destination des particuliers et des structures. Parisienne à son origine, Créafrance  essaime désormais en province grâce à des personnalités relais. Attentive aux mutations transnationales, l’association commence également à répondre à des appels d’offre européens, dans une démarche analogue à celle de l’Institut Charles Cros (Création /Recherche /Formation). Dans l’esprit ludique qui lui correspond, CréaFrance n’hésite pas à rédiger un kit de « créativité pour les nuls » : un atout inédit dans le combat singulier de la construction territoriale qui perd souvent son humour avec son latin.

L’économie au miroir magique

Du C de Clichy au C de Colombes, les Hauts de Seine ont offert à discussion un envol de solutions pratiques qui puissent désengorger Paris, revitaliser la petite couronne et redonner de la fierté à des villes trop souvent perçues comme des cités dortoirs après avoir attiré les impressionnistes et les bateliers.  Les projets d’Alexandre Meyer et d’Hervé Lemainque sont arrivés à des moments où les municipalités se ressaisissent d’un « projet urbain » de qualité, se défiant désormais de la curée des promoteurs qui tranchent à la découpe dans des quartiers  d’histoire : Clichy, résidence des rois mérovingiens, accueillit en 1429 l’armée de Jeanne d’Arc campée pour la reconquête de Paris.

Notre dialogue facette ses questions en de multiples miroirs : à l’ancienne entreprise de Clichy, répond en écho l’emblématique caserne de Reuilly,  cette Manufacture royale des Glaces, lancée par Louis XIV pour concurrencer les verreries de Venise. Le commerce demeure un un psyché urbain qui garde son mystère: goûts, abandons, modernisations, regards transformés, représentations prospectives…

La remarque du poète Hölderlin sur la liaison spéculaire entre le péril et le sauvetage, reprend force aujourd’hui, dans des villes dont Paris a longtemps aspiré le travail : les métiers, la  valorisation des services de proximité, la pensée du bien commun,  sont les outils du bon sens qui revitalisent les espaces urbains s’ils sont conjugués avec audace. Émile Magne décrit avec émotion les « tiaulées d’ouvriers » mélangées aux midinettes des boulevards, cette physionomie des rues travailleuses du siècle dernier que l’entreprise fait affluer ou affame. C’est en hommage au Colombes de son enfance, que le chansonnier Jean Baptiste Clément composa Le temps des cerises. Éperonnés par une époque qui cherche son souffle, les chevaux blasonnés du commerce et de la petite entreprise -Heuristique, Prudence, Travail et Endurance- continuent à labourer une plaine naguère assignée aux demeures de chasse et  aux volées de garennes.

Sylvie Dallet, 10 avril 2014



[1] « L’ « affectio societatis » désigne la disposition à s’associer pour travailler ensemble dans un esprit de partage et d’égalité.

[2] Au XVIe siècle, les premières compagnies de commerce et de navigation associent  par des accords de charte plusieurs commerçants  pour réaliser des voyages  ou des opérations précises, limitées dans le temps ou par les moyens financiers mis à l’œuvre. Une des plus connue est la britannique Merchant Adventurers qui fondée en 1406 assure, jusqu’en 1806, les trois quarts du négoce international anglais.

[3] Cf.  La 41ème rencontre du 28 juin de la Plate-Forme « Créativités & Territoires »  (« Bois et jardins autour de la Nation ») a mis en pratique une déambulation parisienne, d’un Fab lab dédié au travail du bois, l’Établisienne à la découverte des multiples jardins secrets qui, de la rue des Vignoles à la rue Dieu, font respirer les alentours de la Nation.

[4] « Aujourd’hui, je suis chercheur en dynamiques collaboratives et intelligence collective, détecteur et révélateur d’émergences, connecteur de talents et d’idées ». Marc Tirel est associé au sein du cabinet de conseil In Principo  et œuvre au sein du CIRI – Collective Intelligence Research Institute sur des thèmes de refondation de l’expérience tels que les aspects organiques de l’intelligence collective.

[5] La ville universitaire francophone de Sherbrooke (près de Montréal) a construit son campus hors les murs, suscitant l’abandon du centre-ville parcouru d’un torrent. Pour recentrer leur action et valoriser leur mémoire, les édiles ont astucieusement assorti ses paysages historiques d’un autre mur peint, qui figure tous les acteurs de la rénovation, dessinés grandeur nature dans un joyeux désordre.

 

[6] Consulter le site www.jncp.fr. Les inscriptions s’effectuent avant le 16 juin 2014 par mail (contact@jncp.fr) ou téléphone 01 83 62 08 88

[7] Émile Magne L’esthétique des villes, In folio, 1908, réédition 2012

[8]  Ce Centre, bâti pour accueillir quelque 2000 personnes, est géré par la Fédération  des associations musulmanes de Clichy, qui englobe des Mauriciens, des Indiens, des Pakistanais mais aussi des Comoriens, des Sénégalais, des Algériens, des Égyptiens et des Tunisiens.

[9]  Le Groupe Banque africaine de développement (www.afdb.org) couvre l’ensemble des territoires africains depuis 1964 pour les secteurs : eau, agriculture, développement du capital humain, changement climatique, crise financière et micro finance, énergies vertes, genre…

[10] Un Pôle Territorial de Coopération Économique (PTCE) se définit comme un groupement d’acteurs sur un territoire – initiatives, entreprises et réseaux de l’économie sociale et solidaire, petites et moyennes entreprises, collectivités locales, centres de recherche et organismes de formation – qui met en œuvre une stratégie commune et continue de coopération et de mutualisation au service de projets économiques innovants de développement local durable.

[11] Union Nationale des Acteurs du Développement Local, association lancée en 1992.

 

One Response to “Intencity de Clichy, recettes pour dynamiser les centres villes”

  1. Madjid Djenane writes:

    Ce texte de Sylvie Dallet inspire deux idées forces.
    Tout d’abord, il montre que face aux « délocalisations industrielles », il y a cette force de maintenir en vie les agglomérations urbaines, voire leurs centres villes. Ces agglomérations ou villes qui étaient jadis bruyantes de par leurs innombrables activités de fabrication sont en passe de se restructurer et de devenir des « centres culturels à ciel ouvert ». Autrement dit, elles se tertiarisent, ce qui est considéré comme un indice de progression vers le mieux, le bien-être collectif. La restructuration ou la mutation des villes si elle se traduit dans l’immédiat par des pertes d’emploi, notamment pour les moins qualifiés, ouvre à long terme de nouvelles perspectives de développement, un développement qualitatif, sans doute meilleur.

    La seconde idée est que ces mutations semblent être aussi le résultat de l’implication intense des intellectuels artistes qui se tiennent la main pour gouverner ensemble ces grandes mutations et pour donner un nouveau cachet aux villes. Face à ces mutations et à la dynamique colportée par les artistes, l’Etat n’est pas un acteur inactif puisqu’il semble impulser toutes ces politiques. Ainsi est fausse l’idée selon laquelle la mondialisation est standardisation. C’est même un leurre lorsqu’on la présente comme étant une source de désertification. Bien au contraire elle est dans les pays développés, à l’exemple de la région d’observation de l’auteur (Colombes-Clichy (Hauts de Seine)), la mondialisation est le canal qui redonne vie aux villes.

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