Le design social : un levier du développement territorial

Ben Youssef Zorgati, Imen

Maitre-Assistant à l’Ecole Supérieure des Sciences et Technologies du Design, Université de la Manouba, Avenue de l’Indépendance 2011, Manouba

Tel : (00)216 71 610 700, Fax : (00) 216 71 610 750, e-mail : izbenyoussef@yahoo.fr

Chercheur associé à L’Institut ACTE UMR 8218, Equipe de Sémiotique des Arts et du Design, Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne

Chercheur à l’Unité de Recherche Pratique Artistique Contemporaine à l’Institut des Beaux-Arts de Tunis, Université de Tunis

Ecoquartier de Sidi Amor à Tunis

Ecoquartier de Sidi Amor à Tunis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Imen Ben Zorgati

Imen Ben Zorgati

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Résumé 

Le design social est une stratégie de conception permettant de concevoir non seulement des objets, des images et des espaces, mais aussi des pratiques, des services des comportements et des attitudes adaptés à une société dynamique et évolutive. Ce processus est un moyen efficace pour répondre à des besoins physiques et psychologiques de l’individu-usager et du groupe social ainsi qu’à un ensemble d’activités et de vécus raisonnables et durables. Ce n’est qu’à travers un système de langage matériel, immatériel et mental que le designer peut réussir la conception d’un espace, d’un logement, ou d’un territoire en cohérence avec l’environnement social, culturel, économique et technologique. Ce système, considéré comme le moteur de l’innovation sociale contribue au développement d’un nouveau mode de vie et d’une nouvelle attitude sociale.

Mots-clés

Design social ; espace ; logement durable ; matériaux ; vécu ; éco-conception ; co-conception ; environnement socioculturel.

Introduction

Face au phénomène de mondialisation et au développement technologique, le design comme activité créatrice s’est engagé dans la vie quotidienne pour suivre les besoins et les attentes d’une société en perpétuel changement. La mondialisation a permis l’échange de culture matérielle et immatérielle au profit d’une société dynamique et évolutive, mais a aussi procuré une certaine standardisation dans l’espace architectural et le paysage urbain. Ceci a engendré une « perte » de valeur socioculturelle et par conséquent d’identité territoriale. Cette image traduit un esprit de mode et de tendance qui se veut en phase avec une société technologique, numérique et peut être, dans un futur proche, virtuel, ne s’adapte pas aux besoins d’une société qui a son propre système de langage culturel, social, patrimonial, économique et environnemental, puisque l’homme cherche une identification de son propre territoire. Cet être, usager de l’espace et habitant de la société veut trouver des repères et des marqueurs du territoire pour construire son « cocon », sa bulle au sens de E.Hall (1971), son espace personnel au sens de Sommer (2003), qui soit le prolongement physique et psychologique de son corps sur son territoire. De ce fait, une innovation et un développement de l’identité territoriale s’impose à travers un langage social, culturel, économique, politique et environnemental, en vue d’une image socioculturelle raisonnable et durable.

Comment se construit ce système de langage spatial pour garantir la cohérence du langage territorial ?

Comment le design social peut-il être le vecteur de l’innovation et du développement du territoire ? Qu’elle stratégie le designer doit-il adopter pour innover et développer ce territoire ?

 

Le design considéré comme moteur de création et d’innovation sociale est le domaine par excellence qui peut permettre d’humaniser l’espace pour établir sa cohérence dans son environnement. Considéré selon Etienne Souriau comme un « état d’esprit qui cherche à harmoniser l’environnement humain », il est parmi les domaines ayant développé la pensée écologique pour confronter les contraintes d’ordre social, culturel, environnemental et économique. Il a de ce fait, un rôle central dans la prise de conscience de l’équilibre à trouver entre l’homme, ses pratiques et son environnement.

 

C’est dans ce contexte que le design social en tant que processus de conception sociétal a un rôle capital dans la représentation, l’organisation et l’aménagement du territoire. « Son rôle croissant en tant que facteur de rapprochement économique et culturel des nations va créer des passerelles contribuant de manière non négligeable au bien-être et à l’équilibre des sociétés » (Kathryn Best 2009). C’est le moyen le plus efficace pour concevoir une entité spatiale répondant à un équilibre entre le social et l’environnemental au profit d’un développement territorial ; D’ailleurs, Paul Henri David (2001) explique que « l’espace peut, par son pouvoir changer la société ».

 

De ce fait, le designer ne se limite plus à créer des produits (objet, espace, image, etc.) qui répondent à des normes fonctionnelles et des attentes esthétiques, mais conçoit des pratiques, des services et même des stratégies plus adaptés aux attentes d’une société mouvante et changeante. Une conception raisonnable, responsable et durable dans le sens où elle répond non pas à un besoin individuel mais plutôt social. Nous pouvons dès lors avancer que le design ne doit plus se limiter à cette activité créatrice mais devient une « attitude » puisqu’il opte pour la conception d’un système de relations. Des relations entre les individus et aussi entre l’individu et son territoire, l’individu et son environnement, etc. Cette évolution de l’activité du design n’est en fait que le reflet de l’évolution de l’individu, du groupe social et de la société qui essayent de s’aligner sur les nouveautés technologiques pour s’adapter au développement du territoire. La conception doit suivre par conséquent une stratégie globale visant une démarche de développement économique, culturel, environnemental et social.

 

L’objectif est donc, de démontrer comment le design en tant que pratique créatrice et en tant qu’attitude participe au développement d’une société dynamique. Quel rôle a le design social dans le développement du territoire ? Comment le designer peut-il concilier entre les besoins physiques et psychologiques de l’individu-usager et du groupe social en vue d’une meilleure adaptation à l’environnement ?

1.Le design social au service du logement durable

Il est important de souligner le rôle qu’a joué le design dans le changement de la société, l’évolution de l’image culturelle et le changement de l’environnement urbain. Un changement qui a certes permis de développer l’économie et la politique de la société mais qui a aussi engendré d’autres problématiques qui relèvent de la surconsommation, de la « multi-culturalité » causant la perte de l’identité, etc. De ce fait une nouvelle méthode d’intégrer le design dans la société s’impose pour améliorer les pratiques au sein de la société. C’est dans cette perspective que le design en tant que pratique créatrice s’allie aux sciences du comportement pour donner lieu à ce que nous appelons le design social (Fig.1). Ce processus collaboratif de conception s’appuie sur la participation de plusieurs acteurs pour redéfinir les besoins et revoir l’espace « considéré comme un modèle social d’organisation de l’activité humaine, opérant à la fois comme instrument fonctionnel et comme culture » (Fischer G.N. 1997), ainsi que la manière de penser le vécu de l’usager et le vécu de la société.

schéma-1

Le designer social se trouve par conséquent, engagé dans une grande responsabilité vis-à-vis de l’individu, du groupe social et du système social. Sa conception doit respecter des besoins techniques, physiques, fonctionnelles et esthétiques, mais également des besoins psychologiques et sensoriels que sollicite l’usager de la société et des besoins environnementaux que suscite la société même. De ce fait, toute conception doit être liée à son contexte socioculturel, socioéconomique et socio-environnemental afin de garantir son adaptation à l’usager et à la société. Par sa prise de conscience écologique, le concepteur adopte une stratégie globale basée sur des objectifs plus humanistes afin de réussir l’équilibre social, culturel, économique, et environnemental pour une conception du logement plus raisonnable et responsable.

Nous dirons dans ce cas et dans une approche plus globale, que le designer ne doit plus se soucier uniquement de répondre aux besoins de l’individu ; il doit également faire face à sa dimension sociale et environnementale, en tenant compte des besoins du groupe social pour garantir son adaptation à l’environnement qui est « essentiellement l’espace aménagé dans nos sociétés » (Fischer G.N. 1997). C’est dans ce sens que le concepteur se doit, dès la phase conceptuelle d’un projet, d’avoir à l’esprit, l’approche socio-environnementale en tenant compte de la dimension culturelle et économique pour garantir au mieux la réussite d’un projet durable et responsable afin d’assurer la qualité de l’environnement.

 

Dans le contexte du logement durable, le designer a une place capitale dans le processus de développement du logement et de son environnement. Il a un rôle important à jouer dans la conception de cet espace, de sa matérialisation et de l’effet et impact qu’il procure sur son usager et son environnement immédiat. Cette notion de logement, intimement liée aux pratiques socioculturelles de son occupant, puisqu’il communique « le statut social » (Amos Rapoport 2003) n’est autre qu’un cadre spatial limité par des composantes matérielles et immatérielles. Ces composantes prennent forme et matérialité à partir d’un concept issu de « l’expérience » (Tuan Yi-Fu 2006) et grâce à un système de matériaux physiques et psychologiques.

 

Le designer doit dès la phase conceptuelle de son projet tenir compte de la valeur socioculturelle des composantes matérielles et immatérielles pour garantir une adéquation entre les pratiques et les besoins de l’usager de l’espace. Il doit par conséquent adopter une stratégie basée sur des concepts relatifs à l’environnement social, économique et culturel mais aussi technique, technologique et « temporel » (Alain Farel 2008), pour s’adapter à l’évolution des besoins de l’usager et de la société. A cet effet, le designer ne doit en aucun cas s’engager seul dans cette stratégie ; il doit coordonner et collaborer avec les usagers d’une part et l’environnement socioculturel d’autre part. Après avoir identifié les besoins, les attentes, la perception et le comportement des usagers, le concepteur analyse ses besoins selon le contexte social, culturel, économique, technologique, territorial et environnemental. A travers cette analyse (Fig.2), le designer matérialise son concept selon une stratégie de co-conception en tenant compte du facteur écologique, pour donner lieu à un logement durable.

schéma-2

 

De ce fait, le designer est redevable d’humaniser le design dans le sens où il faut une identification des valeurs des usages qui « sont relatifs à la qualité des territoires et notamment à leurs composantes culturelles » ((Fischer G.N. 1997) et leur intégration dans le processus de conception. Cette approche ne peut nullement être prise en dehors de sa dimension psychologique et socioculturelle, puisque la culture qui renvoie au mode de vie de l’individu, à ses activités et à ses habitudes agit sur le comportement de l’usager, sa manière de voir, de percevoir et de vivre l’espace et dans l’espace et influence par conséquent son vécu.

 

Quelles méthodes ou stratégies le designer doit-il entreprendre pour contribuer à un équilibre social et environnemental ?

 

Le design social a une grande opportunité d’innovation pour répondre aux besoins d’une société exigeante et d’un environnement en perpétuel évolution. Il se base sur la méthode de la conception engagée pour garantir l’approche éco-conceptuelle et donner naissance à ce qu’on peut nommer le design social responsable. De ce fait, cette approche conceptuelle indispensable à la réussite d’un logement durable et son adaptation à l’environnement se base sur la méthode de co-conception qui permet de faire participer l’usager dans la conception même du logement. Cette méthode adoptée en design social permet d’engager l’usager dans le processus conceptuel afin de garantir un vécu approprié à ses besoins et ses attentes et par conséquent un logement viable. « Le design social fonctionne avec les gens plutôt que pour eux. Il fait participer les individus à la planification et à la gestion des espaces qui les entourent, leur apprenant à utiliser l’environnement avec sagesse et créativité afin de parvenir à un équilibre harmonieux entre l’environnement social, physique et naturel » (Robert Sommer 2003).

 

De ce fait, plusieurs acteurs entrent en jeu dans la conception du logement durable : l’individu-designer, l’individu-usager et les différents intervenants dans la conception (Fig.3). Cette stratégie collective entre les différents acteurs permet d’anticiper le développement du logement durable et par conséquent du territoire. Intégrer l’usager dans la conception engagée est le moyen le plus efficace pour réussir en premier lieu l’adaptation du logement au vécu de l’usager et en deuxième lieu la cohérence du logement à l’environnement urbain. Cette méthode de la co-conception est par conséquent une stratégie parmi d’autres permettant de garantir la réussite d’un logement durable, puisque l’éco-conception est aussi une démarche indispensable pour le développement du logement et de l’environnement.

schéma-3

 

Cette stratégie de l’éco-conception est un facteur décisif dans l’élaboration d’un projet. La notion de l’éco renvoie non seulement au concept écologique mais aussi au facteur économique qui entre en jeu dans la conception d’un logement durable. Le développement durable qui exprime aussi le « développement de l’humanité vers le bien-être physique et psychique de chacun » (Alain Farel 2008) est par conséquent une approche efficace et fiable pour le développement territorial. Mettre en valeur les qualités d’un territoire qui se manifestent à travers le culturel, le « savoir faire vécu » (Delorme Louise Marie-Noëlle 1976), les moyens techniques, le patrimoine, les ressources et les matériaux pour réussir le développement local en pensant à la durabilité de l’usage est une stratégie complexe que le designer doit être en mesure de gérer. Variables en fonction de la culture matérielle et immatérielle, « l’économie et la durabilité exigent des environnements qui répondent aux changements à mesure que le temps passe et tout au long de leur vie » (Amos Rapoport 2003). A cet effet, plusieurs facteurs entrent en jeu dans le processus conceptuel d’un logement, d’un système de logement ou d’une entité sociétale dynamique pour garantir le développement du territoire durable. Plusieurs composantes constituent une base dans la conception spatiale, dont le matériau forme la matrice basique de l’acte conceptuel ; d’autres telles la lumière, la couleur, la culture, les ressources, etc., entrent en considération dans la mise en forme du système de matériaux permettant une meilleure qualité du vécu spatial. Une qualité qui fait référence au bien être physique et psychologique et au confort social et environnemental.

2. Le matériau: vecteur du développement du logement durable

Partant du fait que le logement n’est autre qu’un système de matériaux dans ses différentes formes, physiques, ergonomiques, fonctionnelles, esthétiques, psychologiques, sensorielles et même virtuelles, il est du rôle du designer de savoir tirer profit pour réussir sa mise en forme et sa matérialité spatiale. C’est ce système de matériaux qui va refléter les pratiques socioculturelles et engendrer par conséquent des attitudes et des comportements responsables et raisonnables.

 

Ce système de matériaux se traduit à travers un langage conceptuel, un langage matériel et un langage mental. Le langage conceptuel relève de tout ce qui renvoie à l’idée, au concept, à la représentation mentale de l’espace ; il dépend des besoins psychologiques et de la dimension sociale, culturelle et environnementale. Il représente l’immatériel du logement qui agit sur le mental de l’usager. De ce fait, le concept qui constitue le point de départ de tout acte de conception doit répondre non seulement aux besoins physiques et biologiques de l’usager, mais aussi à ses besoins psychologiques qui relèvent de son comportement, de ses attitudes et de ses pratiques, tout en tenant compte du contexte social, culturel, environnemental, économique, etc., en vue de l’adapter à l’usage du logement.

 

Le langage matériel renvoie au système de matériaux qui compose le logement en question. Ce système matériel doit répondre certes à des normes physiques, ergonomiques fonctionnelles et esthétiques, mais aussi à des attentes sensorielles, psychologiques et émotionnelles.

Le langage mental renvoie à tout ce que le logement peut engendrer comme effet et impact sur le système d’activités et le vécu de l’usager. Ce langage du matériau traduit des messages mettant en cohérence les composants du logement durable en particulier et de l’environnement dans une vision globale (Fig.4).

 

Le design social agit par conséquent sur trois niveaux. Le premier niveau consiste dans le choix du concept qui doit refléter les valeurs socioculturelles et socioéconomiques en mettant en valeur la notion d’identité et de durabilité. Le deuxième relève de la matérialisation du concept à travers le choix des ressources, des matériaux et des moyens technologiques permettant la mise en forme du concept en réponse aux besoins des usagers et de la société. Le troisième niveau renvoie à la projection des besoins en termes de vécu et d’expérience. Dans ce contexte, le designer porte une grande responsabilité. En se basant sur la démarche de la conception située, il doit d’une part bien articuler, organiser, ordonner les différents matériaux pour projeter une image socioculturelle cohérente à l’environnement et d’autre part, bien étudier l’impact de ce système de matériau sur le vécu de l’usager et sur le vécu de la société pour traduire une image socio-environnementale durable.

schéma4

 

D’ailleurs, « si l’espace est socialisé, c’est en raison, d’une part, des conditions environnementales qui orientent et encadrent les comportements et, d’autre part, des formes d’activités et de relations qui s’y produisent » (Fischer G.N. 1997). C’est à travers ce système des formes, que les matériaux transmettent une image socioculturelle. Partant du principe que chaque matériau porte un sens, une fonction, un usage, une image sociale, une identité culturelle, une valeur économique, véhiculant un message spécifique à chaque usager et à chaque société, il est du rôle du designer d’articuler de façon intelligente ses caractéristiques pour garantir le développement du logement durable et de son environnement. A cet effet, « la dimension culturelle est indispensable pour orienter cette évolution dans le sens d’un équilibre acceptable entre l’environnement artificiel et la nature à laquelle nous restons liés par notre origine biologique » (Manzini Ezio 1989).

 

Le matériau fait du logement le moteur de son innovation et développement, puisqu’il permet de développer le concept en un produit, service ou logement. Grâce à l’innovation technologique, le matériau peut se développer de l’état conceptuel au système matériel permettant l’innovation sociale. Le souci majeur du designer réside dans le choix du matériau qui permet une conception durable et responsable en harmonie avec le contexte économique, social et culturel « global » afin de répondre non seulement aux besoins d’une société plus responsable mais d’un « système social » durable. Ce système social doit s’adapter au phénomène d’innovation qui prend diverses formes en fonction des différentes stratégies en design permettant « d’ouvrir la voie vers une nouvelle culture » (Vilém Flusser 2002).

 

Par ailleurs, le designer ne doit pas seulement, en termes de logement durable, se limiter au langage matériel et immatériel mais doit penser à l’effet et à l’impact qu’ils procurent à l’usager de l’espace. En identifiant les besoins et les attentes, il planifie une stratégie de conception, de représentation et de réalisation en projetant les besoins en termes d’usage et de vécu. Ainsi Stéphane Vial (2010) présente le design comme « une démarche de projection ou d’anticipation qui consiste à imaginer, à partir de l’état existant, des formes innovantes de vie et d’usage » et de se projeter dans le vécu pour retrouver les besoins en termes de confort. Il ajoute dans ce sens que le designer est « celui qui propose un état projeté de la réalité ». Le fonctionnement du logement durable est par conséquent lié à la dimension socioculturelle qui dépend de la dynamique relationnelle entre le cadre spatial et l’usager et bien évidemment les habitudes et attitudes acquises par ce dernier. Il dépend de son mode de vie, de ses activités motrices et de son comportement. A cet effet, le logement prend tout son sens en fonction de ce qu’il véhicule comme valeur socioculturelle, l’environnement urbain et de l’interaction entre eux. Dans cette perspective le « design social est en partie une tentative de redistribution des services de conception afin d’améliorer les logements » (Sommer 2003).

 

Le rôle du designer social est de façonner le logement, le système des logements et par conséquent l’environnement , comme « espaces de socialité » (Alain Farel 2008), selon non seulement les besoins et les attentes des usagers mais leurs systèmes d’activités qui relèvent de tout ce qui renvoie aux comportements, attitudes, actions et réactions physiques, sensorielles, psychologiques et cognitives. Il doit penser, concevoir, représenter et matérialiser le logement par une approche durable et responsable tout en valorisant son intégration et implantation dans l’environnement.

 

Ce système d’actions et de rapports « qui constituent la matière concrète de la vie sociale » (Freitag Michel 1992) et qui suit l’environnement culturel, économique et environnemental, doit être responsable et durable dans le sens où il s’applique à une démarche globale répondant à une société dynamique. De ce fait, les deux principaux acteurs de la conception à savoir le designer et l’usager doivent être conscients des enjeux de durabilité pour l’instaurer dans la conception du logement, les pratiques du groupe social et le système d’activités de la société. Le designer doit refaçonner la stratégie de conception en pensant à ce qu’elle procure comme effet et impact sur l’environnement et d’inciter l’usager à reprendre sa façon de vivre, son comportement, ses pratiques, son attitude et tout le système d’activités, pour réussir le logement durable au profit du développement territorial responsable.Toutefois, le designer a une responsabilité complexe puisqu’il doit assurer l’espace dans sa globalité dans la mesure où il doit réussir la cohérence entre le physique et le mental, le social et le culturel, l’économique et l’environnemental, le matériel et l’immatériel, le sensoriel et l’émotionnel.

 

Tenir compte de l’impact et de l’effet du système de matériaux sur l’usager de l’espace en l’occurrence le logement est un facteur décisif pour le designer afin de garantir un développement du territoire. Ce territoire qui renvoie à un espace physique et psychologique, délimité, organisé, agencé et aménagé par un système de matériaux harmonieux, n’est autre qu’un « lieu socialisé dans la mesure où ses caractéristiques physiques et les aspects culturels qui lui sont attribués se combinent en un seul et même système » (Fischer G.N. 1997). C’est à travers l’identité de ce système qui renvoie à l’identité culturelle, économique, environnemental et sociale, que l’usager va s’approprier le logement.

 

Une appropriation qui permet à l’usager de « dominer son environnement, au lieu d’être dominé par lui » (Moles Abraham 1998) et va générer le confort et le bien-être dans l’espace en question. De même, valoriser l’identité de ce système de matériau qui n’est autre que le système spatial au profit des besoins de la société permet d’anticiper au développement territorial. S’approprier l’espace, s’approprier son territoire, ne peut avoir lieu que lorsque l’habitant est partie prenante dans le processus de conception.

 

Dès lors, la notion de territoire existe dans le mental, elle est par conséquent différente selon chaque individu usager. Elle varie selon les composantes physiques et psychologiques ; c’est dans ce sens que le designer doit prendre en considération dès le processus conceptuel, des mesures, pour mettre en valeur chaque élément du langage territorial afin de garantir son développement. De ce fait, la cohérence entre conception, usage et vécu est un facteur décisif dans le développement du territoire. Comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le design social va permettre aux différents acteurs, designer, architecte, sociologue, psychologue, anthropologue, sémiologue, manager, usager, ingénieur, habitant, consommateur, de repérer et de valoriser les ressources. (Fig.5)

 

schema-5

 

Le designer fait du design social un important levier du développement territorial, puisqu’il permet une nouvelle organisation des espaces et des services pour une meilleure amélioration du logement durable. Le design social joue un rôle clé au sein de l’environnement socioculturel et socioéconomique puisqu’il crée de la valeur ajoutée au territoire. En tant que nouvelle approche de conception tournée vers l’homme, le design social permet de produire des espaces et des environnements en harmonie avec le vécu des usagers.C’est dans ce sens que le design social prend une place importante dans la démarche conceptuelle du logement durable, en pensant à l’avenir de l’humanité et par conséquent au développement territorial. Le design social est ainsi le moteur du développement territorial.

3. Le design social : moteur de l’innovation du territoire

En tant que design participatif, le design social permet une dynamique de création qui permet l’innovation sociale, culturelle, économique, environnementale, technologique et technique. Une innovation dans le service, dans les stratégies, dans les nouveaux modes de vie qui se base sur une démarche systémique raisonnable et durable favorisant le développement du territoire. Cette démarche systémique puise dans le design de service et le design management afin de garantir l’innovation en termes de territoire.

 

Le design management permet une stratégie de communication des qualités du territoire, de vivre l’expérience recherchée, de mettre en valeur la communication entre le matériel et l’immatériel. C’est une stratégie qui anticipe à une valeur ajoutée à la société, à la culture et à l’environnement. A travers la communication, les repères et les marqueurs du territoire qu’il génère, le design management participe au développement du paysage urbain. Il a un rôle essentiel dans l’innovation sociale. C’est un élément capital du système qui compose le design social. Par ailleurs, le design de service est un mode de pensée adapté aux besoins d’une société complexe par son changement et son évolution.

C’est dans cette perspective que Brigitte Borja de Mozota l’a présenté en le considérant comme « la conséquence de changements macro-économiques centrés sur l’individu » (Marie-Haude Caraës & Françoise Cœur 2008). Le design de service permet ainsi de créer des expériences à travers des services. Ces expériences issues des différentes formes d’usages : usage fonctionnel, usage esthétique, usage sensoriel, et usage émotionnel permettent d’avoir des scénarios de vie dans l’espace et dans la société.

Le design social est une stratégie globale qui allie entre le social et l’environnemental d’une part et le management et le service d’autre part. Il permet l’innovation et le développement d’un concept local relatif au territoire. En fonction des ressources locales, les acteurs de la conception, doivent innover en termes d’aménagement, d’organisation, de concept et de technologie appropriés au contexte. Ce contexte social permet une analyse fiable du comportement et des pratiques des occupants du territoire et le contexte psychologique analyse la façon de vivre. Le designer doit par conséquent combiner entre le culturel, l’économique et l’environnemental. Cette combinaison garantit l’équilibre dans la relation habitant -logement et usager -société pour une amélioration du cadre de vie et une performance de la qualité du vécu. La compétence du designer réside dans la combinaison des différentes approches pour établir la cohérence entre elles et garantir par conséquent l’innovation et le développement. C’est dans ce sens que chercheurs, ingénieurs, sociologues, psychologues, architectes, écologues, designers et autres spécialistes dans différents domaines se sont mis à l’innovation sociale pour établir l’équilibre entre le social, l’environnemental et l’économique. Dans cette perspective Chloé Braunstein (2003) insiste dans son article intitulé « le design comme culture du projet », sur le fait que le « designer doit maitriser les conséquences de ce qu’il dessine : économiquement, sociologiquement, écologiquement et médiatiquement ».

 

Le designer doit à cet effet, innover au niveau du concept territorial, de son organisation et de son usage ainsi que des pratiques au sein du système territorial afin de réorganiser les modes de vies. L’habitant de ce territoire doit être en mesure de changer d’attitude et de pratique par un comportement plus responsable façonné par le designer à travers des matériaux matériels et immatériels raisonnables. De ce fait, le designer au sens de Papanek doit avoir « un sens aigu des responsabilités morales et sociales, et une connaissance plus approfondie de l’homme », puisqu’il considère le design comme « un outil novateur, hautement créateur et pluridisciplinaire, adapté aux vrais besoins des hommes ». (Papanek-Victor. 1974).

Conclusion

 

Cette communication traite du design comme « sculpture sociale » (Stiegler Bernard 2006) qui a un potentiel de développement et d’innovation territorial. Après avoir montré le rôle du design social et de ses composantes et de ses facteurs dans le développement du territoire, en insistant sur le fait que le processus de conception en design doit s’inscrire dans une stratégie globale liée au territoire afin de produire des usages durables pour des usagers responsables. Le design social va permettre d’éliminer l’écart entre le designer et l’occupant du territoire, d’humaniser le système des logements et l’environnement et par conséquent de valoriser le territoire.

 

Le design social offre à cet effet, une nouvelle manière de vivre l’espace, le logement, le territoire et l’environnement social. Nouvelles tendances sociales, nouveaux besoins, nouvelles technologies, nouveaux matériaux, nouveaux concepts s’associent à de nouvelles pratiques sociales, culturelles et économiques pour développer le territoire. Allier différentes stratégies du design est un objectif capital du designer pour réussir à instaurer à travers le design global, un développement local. Le design social comme moteur de l’innovation doit se baser sur un concept local, social, culturel et économique à la fois et l’ancrer en tant que matrice basique dans le processus conceptuel pour le rendre responsable et durable. Pour faire du design social un levier du développement territorial, il doit se placer au centre de l’innovation territoriale.

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