La « Forêt nue » de Philippe Tallis de Chavaniac-Lafayette à Berlin. L’expérience partagée du modèle Céline Mounier.

tallis0008 Ce texte a été écrit par Céline Mounier, docteur en Sociologie, qui a participé du Festival des Arts ForeZtiers  (www.lesartsforeztiers.eu) en juillet 2016. Elle a voulu témoigner de son expérience comme modèle d’artiste pour la performance de Philippe Tallis. Ce regard sur la création artistique est une participation qui entraine la création picturale vers une danse collective, que partagent la modèle, l’artiste et les spectateurs. 


« En juillet, il y a eu Les Arts Foreztiers.

Il s’agit d’une manifestation qu’organise Sylvie Dallet, des rencontres entre des artistes et des chercheurs de genres différents, une forme de recherche-action engagée pour les arbres, pour des relations entre les hommes et la nature respectueuses les uns des autres et pour l’art-recherche. Cette manifestation a lieu dans un village riche d’espaces publics qui s’appelle Chavaniac-Lafayette. Des personnes exposent et sont aussi chercheurs. Par exemple, Albert David a exposé des photos poético-dynamiques qui forment ensemble un voyage critique de l’espace et s’est exprimé en conférence sur les communaux collaboratifs, les façons d’évaluer un bien comme une forêt ancienne et les inconnus désirables qu’il nous faut inventer pour les forêts. C’est qu’il faut les ménager les forêts ! Deux de mes enfants, Théophile et Gabriel, étaient aux Arts Foreztiers, ils ont appris des choses et ont aimé ce qu’ils ont vécu.

Ce mélange d’art et de sciences a quelque chose d’inédit pour moi. Cette expérience est pour moi un modèle de recherche !

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Philippe Tallis sous le préau de Chavaniac (2016)

Aux Arts Foreztiers, nous découvrons une performance : celle de « La Forêt nue » de Philippe Tallis.

Philippe peint, sculpte et grave à la fois sur un drap une femme qui se déroule nue les bras en l’air tenant ainsi le drap, dans le drap, profil, dos, profil, face, profil. Le modèle prend une part beaucoup plus active que quelqu’un qui pose sans bouger. Ceci dit, poser sans bouger, j’imagine que c’est en fait très actif. Après la performance, la femme ressort après s’être habillée. Le public ne voit pas la nudité de la femme, il la voit se révéler sur le drap, telle une ronde de Matisse. Le tissu colle le corps. Le tissu remplit un rôle central comme dans une danse de Loïe Fuller. Telle une danse en effet, La forêt nue.

Après cette performance, nous discutons avec l’artiste. Je dis que je sens beaucoup de respect dans sa démarche. Pendant la performance, j’avais entendu que se nouait un dialogue discret entre le modèle et l’artiste pour que la ronde se fasse au mieux. A chaque performance une nouvelle danse.

Le lendemain nous croisons Philippe. Son modèle de la veille ne vient pas et je risque un « je veux bien être modèle », encouragée par mon ami. Cet encouragement a été décisif. Je n’ai jamais été modèle. Mais j’avais confiance et en plus il est question de confiance en soi dans cette aventure. Pour me mettre à l’aise, Philippe a souhaité me dessiner nue avant la performance. Je n’en menais pas large et je ne suis pas à l’aise avec les dessins. Pendant la performance, là, j’étais à l’aise. Enroulée dans le drap, je me sens chrysalide. L’environnement, le public, je le sens, l’air aussi, les rouleaux, pinceaux et pointes aussi, bien entendu, qui se fondent dans l’environnement. En fait, les gestes de l’artiste entourent le drap, j’ai vraiment l’impression d’une sculpture. Et d’une danse au ralenti.

Nous discutons après, habillée et peinte à la fois, je me sens très bien ainsi. La bière est bonne ! Théophile a suivi la performance, prenant des photos, Gabriel, par intermittence, il avait un peu peur. Gabriel, avec son petit air de manga, a été joliment dessiné par Philippe. Et pendant ce temps, je dis à Philippe, « La forêt nue, faut la faire à Berlin. » Je pense à Berlin car j’ai une image d’une ville où tout est possible. Le vécu d’une ville sévère et libre à la fois. J’y suis allée plusieurs fois, j’aime Berlin. Une ville où flâner et une ville où imaginer les danseurs de la troupe de Pina Bausch évoluer. Ni une ni deux, Philippe pense à une amie qui vit à Berlin. Une deux et trois, le voyage est organisé, nous voici vite avec Albert, Philippe et Marie-Lise, une amie de Philippe, en route pour Berlin. Paris-Berlin, 1000 km, une danse à quatre temps, chacun 250 km. Je pense à la musique du film Pina. Je pense aussi à celle de Nicholas Lens.

A Berlin, j’ai été modèle-géographe de la ville. J’ai choisi trois hauts-lieux de la ville.la-touche-bois-copie

L’aéroport de Tempelhof. Ce lieu, je l’ai découvert il y a trois ans avec André, alors que nous arpentions Berlin à vélo. J’ai écrit ceci alors de cet aéroport : « Ce n’est pas en rétropédalant qu’on décolle ! Un aéroport aux allures de friche et de parc du dimanche à la fois, ou de vision futuriste, quand les réserves de pétrole seront épuisées. En vélo sur la piste d’atterrissage, des personnes maniant toutes sortes de cerfs-volants, des engins roulants variés, des familles, beaucoup de femmes voilées, la plupart élégamment, avec les barbecues partout. Ce lieu, je pense que c’est celui qui restera bien gravé dans nos mémoires. » Ce moment avec André avait été un temps très heureux de notre voyage. Une Forêt Nue de Philippe Tallis dans un temps heureux sur un lieu hors du temps revêtait quelque chose d’extraordinaire. Le vent était de la partie, nous étions prêts à décoller. Le drap volait, un vrai radeau de la méduse l’installation. Le vent est là, Philippe m’aide à m’enrouler dans le drap, Marie-Lise et mon ami se relaient pour tenir les amarres. Je me déroule dans le drap tandis que le sol de la piste est tiède sous les pieds. Un enfant peu sympathique aurait pu mettre fin à toute tentative de forêt mais, fort heureusement, la forêt a eu le dessus. Je ressentais une certaine tension. C’est Philippe qui porte la tension même si je la sens. Je suis plus protégée que sous la tension. J’entends l’environnement assourdi, je vois les différences de luminosité lors d’un passage nuageux, la douceur du soleil quand il se montre, j’entends les gens, à peine les vélos, je ne sais plus vers où je me tourne en sentant la sculpture et la gravure à la fois en train de se faire. J’entends les propos rassurants de Philippe qui voit son oeuvre progresser. Je sens Marie-Lise et mon ami qui tiennent la voile tendue, “tu peux tenir je voudrais prendre des photos”. Le drap est devenu la voile du radeau de la forêt nue, une voile bien ajustée, Philippe peint au près. Le près serré est agréable à ressentir, la voile qui se gonfle, beaucoup moins. C’est un espace-temps étonnant que je vis là sur la piste de décollage. Sortie de la chrysalide, je ne regarde pas l’oeuvre, mais la douceur de la piste m’invite à m’y allonger, la douceur du soleil est là, la piste est tiède. Ainsi allongée, Philippe me dessine tandis que les passants passent, en vélo ou à pied, s’arrêtent un instant, guère plus, dans une libre indifférence. J’imagine des danseurs danser au ralenti, mon ami tourne d’ailleurs une vidéo au ralenti, le temps d’arrête doucement, je suis dans un rêve éveillé.

Görlitzer Park. Je me suis promenée dans ce parc un jour d’été ou de presque été. Je voyais et revoyais alors le film Pina de Wim Wenders, « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus » et j’écoutais la musique de ce film en boucles. Je me promenais dans ce parc et j’imaginais les danseurs de Pina aller et venir entre un bâtiment et un petit amphithéâtre. Je me disais que ce lieu allait être un lieu naturel pour une Forêt nue. Dans le bâtiment un café, nous demandons si nous pouvons nous installer, ni oui, ni non, une sorte d’indifférence et nous nous sommes installés. Le vent était toujours là. Le temps que Philippe prépare l’installation, j’étais déjà dans la structure à tenir le drap, je ne voulais pas que la structure s’envole, mettant à mal le projet du jour, je sentais la concentration de Philippe, et je me concentrais dans la structure à la tenir. Ce moment est celui de la lutte contre le vent, une lutte qui autorise de la rêverie, le vent et les draps, deux draps, et je vais m’enrouler dans un drap. Deux draps et du vent, ça offre une résistance, et je suis verticale mais comme sur une surface qui serait de l’eau, de l’eau de toile et le vent par bourrasque. Ceci, c’est le temps de la préparation, dans l’indifférence la plus totale des clients du café et des dealers de drogue, non loin de là, de l’autre côté du bâtiment. Nous sommes au plein coeur de la ville. En chrysalide enfin, j’étais au coeur de la ville, je ressentais le bruit de l’indifférence, la course proche d’un dealer, la masse sonore de la ville légèrement étouffé par le drap, les gestes de Philippe. Il ne trouve pas un sein, faut l’aider et c’est drôle. Cela me fait rire car cela semble si simple comme recherche dans cet enchevêtrement urbain. Un morceau de nature dans la Forêt nue dans la ville. Une danseuse, habillée, montrerait toutefois à ce moment un sein.

Il y a trois ans avec André, en vélo, nous nous étions arrêtés dans un parc près de Tiergarten, Schöneberger Wiese, avec deux lignes de métro aériennes qui se croisent. J’avais aimé ce parc pour les croisements, pour l’imaginaire du film de Wim Werders, beaucoup plus ancien que Pina celui-là, Les ailes du désir, l’ange et la réalité qui l’avait accompagné, j’avais dit à André, je prends une photo et toi me dessineras ce lieu. J’attends toujours le dessin, mais La forêt nue n’a pas attendu. Nous nous sommes installés à l’égard des jeux des enfants, proches d’un mur qui longe une voie de chemin de fer, en plus des deux lignes de métro. Le vent, le gris ciel et le gris plus foncé, parfois, la clarté douce du soleil, ne pas la manquer, elle éclaire le drap, donne un éclat au rose de la peinture, renforce les traits, met du relief sur la sculpture, permet de se voir sans être reconnaissable, c’est confortable ça, et c’est flatteur en même temps. Le soleil a été discrètement de la partie. Il y a le touché de l’artiste, ses instruments, les notes de soleil, les tintements du métro, les légers cliquetis des vélos, les indifférents assis, la concentration de la posture, c’est un peu une séance de yoga aussi, respirer bien et être dans le présent. Je me sens pleinement dans la ville et aussi abstraitement dans la ville, un peu comme dans une photo d’Albert David, ça tourne lentement. De grands mouvements, les danseurs imiteraient l’art du peintre-graveur-sculpteur, ils sont habillés d’habits peints, des roses et des blancs, des touches de terre de Sienne.

Mes vêtements sont avec de la peinture. Je les ai repassés depuis et l’odeur de la peinture est là. Ils sont bien pliés parmi mes autres vêtements. Je les mettrai et qui sait, ainsi, peut-être irai-je prendre un cour de danse à Wuppertal, oser, peut-être, enfin, danser. Les quarante Forêts nues de Philippe Tallis seront installées un jour et une joyeuse troupe de danse les magnifiera. Qui dit danse dit musique !

Céline Mounier, écrit le 30 novembre 2016.

3 Responses to “La « Forêt nue » de Philippe Tallis de Chavaniac-Lafayette à Berlin. L’expérience partagée du modèle Céline Mounier.”

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